Entretien avec le diacre Francis Linglet sur la nouvelle vision du monde
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- Publication : jeudi 4 septembre 2014 11:41
- Écrit par pr. Razvan Ionescu
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Rép.: Je connais votre intérêt pour ce qui concerne la relation entre théologie et science. Comment vous l'expliquez vous?
Diacre Francis Linglet: Il-y-a déjà longtemps, étudiant à la Faculté de médecine de Reims durant les années 1967/1668, j’apprends le processus de duplication de l'acide désoxyribonucléique (A.D.N.) par l'acide ribonucléique (A.R.N.), et sais que ces recherches avaient valu le prix Nobel à un de nos maîtres, Jacques Monod.
A dix-huit ans, savoir que le programme de nos études est basé sur les travaux d’un chercheur français, qui plus est, nobélisé voilà qui n’est pas banal ! Ce départ dans le domaine des études scientifiques m’apparaissait du meilleur augure.
Or, quelques années plus tard, le professeur Jacques Monod publia un livre: Le hasard et la nécessité. Evidemment, comme des milliers d’autres je me suis précipité pour l’acheter d’autant que les médias de l’époque le donnaient comme révolutionnaire ! Jacques Monod nous propose, dans ce livre, une vision du monde purement et simplement désenchanté.
En voici simplement un extrait: «Il faut bien que l'homme enfin se réveille de son rêve millénaire pour découvrir sa totale solitude, son étrangeté radicale. Il sait maintenant que, comme un Tsigane, il est en marge de l'univers où il doit vivre, univers sourd à sa musique, indifférent à ses espoirs comme à ses souffrances ou à ses crimes. »
Cette phrase, comme le reste du livre fut pour moi une véritable fracture entre ce que j'apprenais à la Faculté, ce qui était la science officielle, celle qui sous-tendait la médecine à laquelle je me destinais, et ce que je croyais, ce qui était ma foi de jeune homme. Un fossé infranchissable s’était dressé entre mes maîtres à la faculté qui m’enseignait le vérité scientifique et les yeux plein de rêve de ma grand-mère offrant un cierge à la Sainte Vierge .
Le rêve était brisé et je ne pouvais trouver de place pour fusionner les deux. Une espèce de barrière infranchissable m'est ainsi apparue entre la foi et la science. La vision mécaniste se mettait en place d'une manière absolument imparable. Le dogme du scientisme trouvait là son apogée. Il a fallu vivre avec, travailler avec soigner avec ! Et pourtant au cœur de cette rencontre avec l’autre qu’est l’acte thérapeutique, force est de constater que le scientisme ne tient pas, l’objectivité, la reproductivité des expériences ne fonctionne pas ! Que de questions ! Où trouver des réponses ?
Le besoin de comprendre mes malades, l’envie de les aider, m’entraînent alors à cheminer vers d’autres pistes. Ces voies nouvelles, développées par les médecines souvent appelées parallèles, sont négligées par la médecine universitaire. Les parallèles par définition ne peuvent se rencontrer ! Pourtant les résultats sont là, ça marche ! Alors comment comprendre cela ? Je dois alors me tourner vers les sciences fondamentales pour trouver un support à ce que j’observe dans ma pratique. Quelques temps plus tard, ce que je croyais être le hasard, et que je sais maintenant être l’Esprit Saint, m’a permis de faire la connaissance un ami qui va changer le cours de ma vie. Jean Staune va me faire rencontrer des chercheurs dans le domaine scientifique et m’entraîner vers une nouvelle vision du monde !
Et voilà que tout s’éclaire, l’infranchissable barrière de la science présente des failles, la cuirasse n’est plus étanche ! L’espérance est là !
Rép.: Y a-t-il dans la science contemporaine des raisons qui vous invite en tant que membre du clergé, donc quelqu’un qui cherche vivre la théologie par son service, au dialogue? Pourriez-vous nous développer quelques réflexions.
D. F L: Je pense répondre à cette question en évoquant les grands progrès de la connaissance scientifique dans les domaines de l'astrophysique, de la physique quantique et des mathématiques. Mais cette démarche demande avant tout de ne pas céder au syncrétisme. Le but n'est en aucun cas de démontrer ou d’étayer la théologie par les sciences... ou l'inverse. Mais d'ouvrir la possibilité d'un dialogue enrichissant pour les deux parties.
La théorie du Big Bang qui de plus en plus s'impose comme le modèle de l'évolution de notre univers nous propose un monde corrélé. Trin Xuan Thuan nous parle des « chances » de l'univers à ses débuts et n'hésite pas à battre en brèche l'idée d'un univers existant par hasard.
La physique quantique nous propose la vision d'un monde particulaire n'obéissant pas au mêmes loi que notre vieille physique rassurante a un point tel que le monde quantique est défini comme un autre niveau de réalité dont la compréhension passe par la notion de tiers inclus (cf. Bassarab Nicolescu). La non séparabilité particulaire viendra confirmer les théories les plus étonnantes !
Les mathématique nous montre au travers de la démonstration de l'incomplétude par Kurt Gödel qu'un système ne peut être fermé.
La nouvelle vision de l'univers, la compréhension de la matière , la certitude de la non finitude de la science, ouvre de nouvelle perspectives. Ne nous y trompons pas, il s’agit bien là d’une révolution de la pensée scientifique qui s’adresse à tous en transcendant la connaissance, un projet qui au delà de tout dogme rend à l’homme sa dignité spirituelle.
Rép.: Y a-t-il dans la théologie orthodoxe quelque chose qui la particularise par rapport a d autres démarches religieuses dans le dialogue avec la science?
D. F L: Pour ma part, la théologie orthodoxe me donne la vision la moins déformée, peut être la moins influencée par le monde extérieur. J'ai le sentiment que rien n'a été gommé, que rien n'a été modifié depuis l'Eglise première de Notre Seigneur Jésus Christ. Cette absence de « pollution » donne à la théologie orthodoxe une cohérence, la situe dans un plan de réalité à part entière. Dés lors toujours et surtout en évitant tout syncrétisme, la possibilité de dialogue avec la science me semble possible.
Rép.: Un dernier mot ?
D. F L: La science qui est arrivée à un point de pouvoir nous détruire nous ouvre les portes d'une aire nouvelle. Tout ceci nous entraîne vers une logique nouvelle. Habitués à la logique de la complétude rassurante, analytique, nous devons nous tourner vers la logique de l’incomplétude, vers la certitude que je ne peux comprendre le tout avec la connaissance des éléments du tout. Admettre l’existence d’un autre plan de réalité qui contient l’explication de l’inexplicable, faire taire le savant Laplace qui, répondant à la question de Napoléon « et Dieu dans tout cela » s'écriât « je n'ai nul besoin de Dieu pour expliquer le monde ». Voici le challenge !